Qui est interviewé ? : Laure Flye Sainte-Marie travaille aux RH d’Ares depuis janvier 2016. Le Groupe Ares est le premier acteur de l’insertion par l’activité économique en Île de France. Le groupe a pour vocation principale de favoriser l’insertion de personnes en grande exclusion.

Cet article aborde quels sujets ? : Ce qui dans son métier de RH est propre à tout organisme, ce qui est spécifique à l’Economie Solidaire et ce qui n’appartient qu’à ARES. Il aborde également de la question de l’engagement, du surengagement, des bonnes et des mauvaises raisons de rentrer dans l’ESS et des spécificités du recrutement de ce secteur.

A qui sa lecture sera-t-elle utile ? : Sa lecture sera des plus utiles non seulement aux recruteurs de l’ESS mais aussi à tout RRH du privé qui se pose la question de sa reconversion vers l’ESS ainsi qu’aux candidates et candidats pour comprendre les attentes des acteurs du secteur.

INTERVIEW « QUÊTE DE SENS ET RECRUTEMENT »

Laure qui pose

Comment présenteriez-vous les spécificités du métier de Responsable RH dans l’ESS à un homologue du secteur privé « classique » ? Quelles sont selon vous les différences marquantes ?     

Au quotidien, je ne suis pas sure qu’il y ait de différences marquantes. Si je devais présenter ces spécificités je commencerais sans doute par parler de l’organisation pour laquelle je travaille. Les sujets des Ressources Humaines et de l’ESS sont très liés pour moi, je suis rentrée dans les RH par l’ESS et non l’inverse.

Il y a quand même des différences. La manière de recruter par exemple. On va chercher des candidats intéressés par ce que fait la structure. C’est aussi le cas dans une entreprise « classique », mais c’est moins essentiel, dans mon cas, je vais aller chercher plus profondément, dans les « tripes » du candidat.

Il y aussi la manière dont les collaborateurs vivent leur travail. Il y a beaucoup d’affect. C’est peut-être aussi le cas dans une entreprise familiale, on n’est pas la simplement parce qu’ »il faut travailler », il y a un engagement particulier.

De façon générale, j’aime le fait que ce soit très humain. On n’est pas tous là pour les mêmes raisons, chacun a son histoire personnelle, mais on sent qu’on est tous là pour le même objectif. Et même ceux qui arrivent sans cette motivation finissent, pour la plupart, par se laisser entraîner. Quand je compare mon métier avec mes camarades de promo qui ne sont pas dans le secteur ESS et qui me racontent ce qui se passent dans leur RH, je sens une vraie différence sur ce point.

En quoi cette notion « d’engagement » autour de la « mission » de l’association influence-t-elle votre rôle ?

La nature de notre action est de prendre soin de nos salariés en insertion. Tout est tourné vers la réussite de nos programmes. Cela conduit à une notion d’exemplarité et d’engagement très forte dans le travail. Il y a eu pendant longtemps une culture assez « acharnée » du travail social chez nous.

Mais pour moi il y a « l’engagement » et le « sur-engagement ». Bien-sûr que je recrute des gens avec leurs tripes, parce qu’ils ont envie de venir travailler chez ARES, ça les touche, ça leur parle. Mais je veux aussi qu’ils arrivent à rentrer chez eux à 18h et à penser à autre chose, sinon, ils ne tiennent pas. On reçoit souvent des mails (du réseau ndlr), pour aller aider un salarié en insertion qui a besoin d’un cours de français, pour aller voir la pièce de théâtre d’un établissement, pour aller dépanner un établissement qui est en baisse d’effectif et qui a absolument besoin de mettre du matériel dans des cartons… Il y a en interne une culture qui valorise cet engagement : quand on reçoit régulièrement ce type de mails, cela envoie un message aux salariés. Mais il est important de pouvoir dire : « ce n’est pas ton métier », « si tu n’as pas envie d’y aller, tu ne le fais pas », « si tu es comptable, que tu fais bien ton travail et que t’es sympa avec tes collègues, ça devrait suffire ! »

Cela joue aussi en cas de difficultés. Les gens qui viennent travailler ici, viennent « avec leurs tripes ». Et quand ça ce passe mal, ça se passe mal « avec leurs tripes ». Ce n’est pas simplement « Aujourd’hui nous n’étions pas d’accord sur la couleur de la bouteille de shampoing » et je rentre chez moi, je passe à autre chose.

Quand les collègues sont aussi les amis, et que les activités en dehors du travail sont de « donner des cours de Français a des salariés en insertion d’ARES », le jour où vous quittez ARES, c’est compliqué.

Je pousse un peu à l’extrême, mais il y a eu, et dans une certaine mesure, il y a toujours un peu cette culture-là. Cela dit, c’est un point sur lequel on a beaucoup évolué depuis deux ans. On a développé une nouvelle logique : « il faut aussi prendre soin de ceux qui prennent soin », prendre soin des salariés permanents.On a créé des groupes d’échange de pratiques, notamment pour les chefs d’équipes et chargés d’accompagnement social et professionnel. Ce sont des moments où ils peuvent échanger entre eux sur leurs difficultés, des espaces confidentiels – il y a besoin de ces temps pour couper, souffler, et pouvoir évacuer un certain nombre de choses qui ont été accumulées. Par exemple, il y a deux ans, on s’est dit : « il faut qu’on s’occupe davantage de nos chefs d’équipes. Quand on les fait venir en formation, offrons leur le petit déjeuner avec des croissants et pains au chocolat payés par ARES ». Je pense qu’au début, c’était bizarre de « prendre dans les budgets d’ARES » pour les permanents, mais aujourd’hui c’est devenu normal.

Sur cette question de « l’utilisation des ressources », l’exemple de nos locaux est intéressant. Avant, on était dans des locaux sombres, serrés, avec peu d’espaces pour se retrouver. Avec le développement de l’organisation, on a dû déménager. On a visité des locaux Gare de Lyon plutôt sympas, mais on a eu des commentaires de certains salariés qui disaient « On est ARES, on ne peut pas avoir des locaux magnifiques à Gare de Lyon… ». Et en même temps, pourquoi pas ? C’est vrai que cela pose des questions sur l’image de l’association, vis-à-vis des partenaires financiers par exemple, mais est-on obligés de travailler sur de vieux ordinateurs très lents, serrés à cinq dans un bureau minuscule ? Aujourd’hui, je pense qu’on a trouvé un bon équilibre (les bureaux agréables et pratiques sont situés à Pantin ndlr), mais c’est un équilibre et un débat récurrent dans une structure comme celle-ci.

Laure et un collègue font semblant de ne pas poser

Selon vous, y a-t-il des éléments qui sont spécifiques au secteur de l’Insertion, dans la gestion des RH ?


Notre métier, c’est en grande partie d’accompagner des salariés en insertion à monter en compétences. Nos salariés permanents attendent souvent la même chose de nous, « leurs » RH. Il est arrivé d’avoir des personnes qui attendaient de nous qu’on leur trouve un logement. C’est ce que font les chargés d’accompagnement auprès des salariés en insertion, mais ce n’est pas ce que les RH d’ARES font auprès des salariés d’ARES. Un rôle de ce type serait même assez malsain.

Par-contre, sur la question de la montée en compétences, on a tellement de belles histoires avec nos salariés en insertion qu’on a forcément envie d’en avoir aussi avec nos permanents. C’est très motivant. Ça ne veut pas dire qu’on le fait et que ça marche à chaque fois, mais le secteur d’activité y est propice. Là aussi il faut se rappeler de ce qu’une « entreprise classique » est censée donner à ses collaborateurs.


Vous avez mentionné la question du recrutement. Comment cette notion d’engagement trouve-t-elle sa place dans un processus d’embauche et d’intégration d’une nouvelle personne chez vous ?


Mon enjeu principal, c’est toujours de trouver le candidat H/F qui a envie de rentrer chez ARES, qui a les compétences et qui se sentira bien dans notre environnement. Chez l’Oréal Paris, il faut un attrait pour la cosmétique, mais l’adhésion au cœur de métier n’est pas la même. Moi, je vais poser des questions en entretien où, même si ce n’est pas ce que je vais chercher, je récolte des réponses plus personnelles, des histoires de « pourquoi les candidats ont fait ce choix ».  Je pense que c’est la plus grande différence.

J’ai beaucoup de candidats, souvent jeunes, qui veulent « rentrer dans l’ESS », point. « Je cherche du sens, et je veux faire de la gestion de projet … » Oui, mais moi, je cherche un Chargé de partenariat… Le sens, c’est bien, mais nous, on fait de l’insertion par l’activité économique ! Il m’arrive de dire à des candidats que ça ne va pas marcher parce qu’il ne suffit pas de vouloir un métier qui a du sens.

Il y a aussi des candidats qui ont l’impression que le fait d’aimer ARES est suffisant. On est conscient que ça ne suffit pas dans le secteur privé « classique », mais pas toujours quand il s’agit de rentrer dans l’ESS. Je ne pense pas qu’on aille chercher un boulot chez l’Oréal en disant juste qu’on aime les shampoings ! C’est pareil pour nous.

Quelles sont les mauvaises raisons pour travailler dans l’ESS ?           
« Je veux du sens », « je veux sauver le monde », point. Et la version « négative », le « j’ai mal vécu une expérience dans le privé », doit être bien analysée, pour montrer qu’il y a une vraie compréhension, une recherche sur le secteur de l’ESS.

Il y a aussi des situations liées à la culture du secteur de l’insertion : on peut être touché par l’histoire de quelqu’un qui n’a pas exactement les compétences mais qu’on voudrait bien aider. Et il m’est arrivé plusieurs fois de rappeler à des managers que « notre travail de permanents, c’est d’aider les salariés en insertion », et qu’avant tout, il faut être qualifié pour remplir cette mission.

La question des salaires est un sujet complexe dans l’ESS, parfois conflictuel et parfois tabou. Qu’en est-il chez ARES ?

C’est forcément « un sujet », les salaires sont inférieurs à ce que tout le monde pourrait toucher dans le privé. C’est un enjeu important dès le recrutement, qu’on valide et qu’on revalide, y compris sur la question de l’évolution salariale possible, quitte à faire de « l’anti-vente ». Cela dit, chez nous, c’est un sujet de conversation assez proche de ce qu’il peut être dans une entreprise classique. C’est sans doute lié à la nature de notre activité : par beaucoup d’aspects, on pourrait passer une journée ici sans se rendre compte qu’on n’est pas dans une entreprise classique : à la différence d’une ONG ou d’une structure qui n’a pas d’activité économique, on a des clients, on facture etc…

Les attentes des salariés évoluent dans ce sens, et cela commence à se traduire aussi en termes de dialogue social, c’était très peu présent il y a encore deux ans. On a poussé pour renforcer ce dialogue, et aujourd’hui on a un rapport de force avec les délégués du personnel plus similaire à celui d’une entreprise classique, y compris lors des négociations salariales annuelles obligatoires. C’est un nouvel enjeu pour la gestion des RH !

D’autres collègues poussent à la perfection l’art de la pose naturelle.

Et vous, pourquoi êtes-vous dans L’ESS ?    

A la base, je ne viens pas des RH, j’ai une formation d’école de commerce avec une spécialité « entrepreneuriat social ». Je me dirigeais donc vers l’ESS plus que vers les RH. C’est toujours l’angle que j’utilise : « je suis tombée dans les RH par l’ESS » !  C’est un secteur qui a toujours été une évidence pour moi. Quand j’étais jeune je parlais « d’humanitaire » parce que je ne connaissais pas le secteur de l’ESS. Je pense que j’ai eu une éducation où on m’a inculqué des valeurs humaines assez ancrées. Petite, j’avais un très fort sentiment de justice – on s’entend, sentiment aussi présent lorsque mon frère avait une plus grande part de gâteau que moi ! Et en même temps, j’avais des parents  très ouverts sur beaucoup de choses. Je pense qu’il y a beaucoup de cela qui est resté. Ça, et un sentiment de chance : j’ai toujours eu l’impression d’avoir eu beaucoup de chance, d’être née là où j’étais née, d’avoir eu ce que j’avais eu et d’avoir la possibilité de le redonner. Les questions d’égalité des chances me touchent beaucoup. J’ai fait une école de commerce quand j’ai compris que ce n’était pas juste pour « faire du commerce », et j’y ai découvert l’ESS, puis l’insertion. Tout cela m’a permis de concilier mes valeurs et ma formation, et de prouver que l’entreprise pouvait avoir un effet positif.

Qu’est-ce qui vous a satisfait dans l’ESS ? Et qu’est-ce qui vous a déçu ? 

    
Ce qui m’a satisfait, ce sont les rapports très humains, dans la gestion, et avec les collègues, et le sens que je mets dans mon travail. Je crois très fortement dans le projet ARES et je suis fière de ce que je fais. C’est pour ça que je parle toujours de l’entité dans laquelle je travaille avant de parler de mon travail en lui-même. Je ne sais pas si je ferais des RH dans une autre entreprise, alors que je me verrais occuper un autre poste ici, ou ailleurs dans l’ESS. Bien sûr, ce n’est pas toujours rose ! Mais je le savais assez bien dès le début, et c’est aussi ce qui fait la beauté de ces métiers : tout n’est pas parfait, au contraire. Le fait que ce soit parfois le bordel fait aussi partie des sources de satisfaction !

Une interview réalisée avec plaisir et curiosité par Simon Papet, Marie-Liloye Clarke et Jean-Philippe Teboul.

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