Dans des temps anciens, on appelait l’entrepreneur social « cadre dirigeant de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS)». Le nouveau terme s’est imposé et est aujourd’hui de plus en plus utilisé pour les cadres de l’ensemble du secteur de l’intérêt général : secteur associatif, développement durable, insertion, bio, coopératives… soit 7 à 10% des emplois français selon les estimations.

Si vous devez recruter prochainement un entrepreneur social, la lecture cet article peut vous être utile. Si vous postulez aux postes concernés, elle peut se révéler indispensable.

Recruteurs, commençons par la bonne nouvelle. Lors des recrutements de cadres dirigeants de l’ESS, les candidatures ne manqueront pas. Vous recevrez globalement plus de candidats que pour un poste équivalent dans l’économie classique. C’est la magie de la «marque employeur» appliquée à l’intérêt général et la moindre des politesses par rapport à la noblesse de la cause que vous défendez. Le problème rencontré ne sera pas tant dans le nombre de candidats que dans leur capacité à intégrer un grand nombre de compétences très spécifiques.

Mais commençons pour l’heure par passer en revue les candidatures que vous recevrez. Deux familles de candidats représenteront la très grande majorité des postulants.

La famille «Maintenant, je veux du sens»

Appelons-la Charlotte. Elle a entre 30 et 50 ans et ce qu’on appelle un « beau parcours» : une belle et grande école, des employeurs reconnus et une progression rapide de N-x à N+y. Charlotte a dû prouver à elle-même et à ses collègues beaucoup de choses tout au long de sa carrière. Passer du fonctionnement scolaire au fonctionnement professionnel, trouver ce juste milieu entre respect des process et créativité ou celui entre respecter ses collègues et perdre les jeux de pouvoirs internes.

Si elle s’appelle vraiment Charlotte, vous pouvez ajouter à cette liste la lutte contre les préjugés liés au fait d’être née femme et si elle est née Djamila, celle contre les préjugés anti diversité.

Aujourd’hui Charlotte a franchi tous ces caps et – le bonheur étant, comme dit l’autre, la poursuite d’objectifs accessibles – elle a besoin d’autres défis. Maintenant, Charlotte veut..(roulements de tambour) un « métier avec du sens ».

Le souci est que sa vision des dits-métiers est très liée au fait d’avoir passé plusieurs années à les fantasmer…

Comment Charlotte voit le métier d’entrepreneur social

Charlotte a vu fondre la banquise, diminuer les ressources naturelles, augmenter la pollution, disparaître les espèces… bref, Charlotte a vécu ces dernières années dans le même Monde que vous et moi. Elle a également vu monter et descendre à l’argus du chic corporate, les phénomènes de mode du commerce équitable, du développement durable, ou encore de la RSE, autant de solutions passant par l’engagement professionnel. Solutions dont elle ne pouvait être part, prise par son propre parcours professionnel.

Sa volonté d’aujourd’hui est constituée en grande partie de la somme de ces frustrations. Formidable professionnelle, compétente, pragmatique et efficace, Charlotte laisse de coté ses atouts lorsqu’il s’agit d’intérêt général. A l’opposé, sa motivation est du domaine personnel.

Elle éprouve le besoin d’un très judéo chrétien partage de la souffrance : Le parcours de Charlotte «vaut» entre 50 KE et 100 KE à l’Argus des salaires. Elle est prête à faire des efforts conséquents. Elle considère même cet effort salarial comme la première étape de son chemin vers plus de sens.

Elle éprouve surtout une envie d’humain : Pour s’intégrer au monde corporate, Charlotte a dû apprendre à raisonner cinquante heures par semaine en indicateurs au détriment de l’humain.

A ce propos, Charlotte se souvient de peu d’articles de Challenge ou des Échos sur le goodwill d’un dirigeant de l’ESS. Ceux sur les start up du développement durable ont une tendance certaine à insister sur la «formidable générosité» des fondateurs plutôt que sur la viabilité de leur modèle économique.

Au final, le métier fantasmé par Charlotte existe uniquement par opposition à tout ce qu’elle a reproché à l’entreprise. Elle n’est pas en capacité d’y associer des compétences précises. Rien de condamnable dans cette vision de Charlotte au contraire, mais toujours est-il que ça n’arrange pas vos affaires de recruteur.

Car à l’opposé de cette vision, le métier d’entrepreneur social exige des compétences très professionnelles et très précises.

Comment le DRH voit le métier d’entrepreneur social

En plus des compétences de gestion de Business Unit ou de celles techniques liées au différents secteurs de l’ESS, le métier d’Entrepreneur social intègre des compétences très spécifiques. 

Expliquer en permanence le projet sociétal et ses évolutions auprès des équipes

Il existe dans tout organisme un lien direct entre l’ambiance au travail et la capacité du management à montrer un objectif commun aux équipes. Plus celui-ci sera clair, moins l’action de chacun sera centrée sur les jeux de pouvoir internes au détriment de celui-ci.

A cette aune, l’entreprise classique a pour avantage la simplicité de cet objectif commun. CA, marge ou position de leader ont pour point commun de s’appuyer sur des données quantifiables : on sait quand ils sont atteints ou non.

A l’opposé «l’objectif commun» aux équipes d’un acteur de l’ESS est politique (« diminuer les inégalités Nord Sud», «lutter contre l’exclusion»…) et donc complexe. Il s’appuie sur une vision du Monde et devra surtout correspondre à celle de chaque membre de votre équipe. Le fait qu’au dernier comptage, il existe 7 milliards de «visions du Monde» différentes ne représentera pas la dernière des difficultés.

Si vos capacités d’empathie et de vulgarisation ne vous permettent pas d’accompagner l’indispensable adaptation du projet sociétal à la Société aux membres de votre équipe, ceux-ci n’y retrouveront pas l’envie de sens qu’ils sont venus chercher.

Appréhender les mille et une cultures du milieu 

Tout secteur a ses spécificités culturelles. Celles de l’ESS ont pour particularités d’être multiples.

Un exemple parmi d’autres : Si votre structure est une association, la gestion des relations entre conseil d’administration et salariés sera susceptible de représenter une bonne partie de votre emploi du temps. D’un coté, les membres du Conseil d’Administration responsables politiques, bénévoles et qui ne disposent donc pas du temps pour se former sur les dossiers ; de l’autre, les salariés, formés mais sans pouvoir politique….

Vous pouvez remplacer cette spécificité par celles des coopératives, mutuelles, entreprises d’insertion, éducation populaire ou commerce équitable, autant de mouvements dont la longue histoire a créé comme ailleurs mille et une particularités.

En toute logique, les recruteurs devraient donc privilégier la seconde famille, celle constituée des candidats qui ont fait toute leur carrière dans l’ESS. Cette famille est constituée en grande partie de la génération emploi jeunes, génération souvent prisonnière d’un malentendu.

La famille «Mettre l’humain au centre»

La génération emploi jeune a pour origine le plan initié par le gouvernement Jospin à partir de 1997. Période dorée pour les DRH et DG du milieu associatif où le coût d’embauche d’un jeune entre 18 et 26 ans pouvait être diminué de 75 voir de 100% si on cumulait les aides à l’embauche proposées par les collectivités territoriales et agences gouvernementales..

Selon l’étude bilan publiée par la DARES en 2006*, «près de 310.000 postes ont été crées, occupés par 470.000 jeunes entre 1997 et 2002. », « Les trois quarts des jeunes auraient ainsi trouvé du travail, en CDI, juste après leur emploi jeune. Collectivité locale, établissement public, association… On les trouve principalement dans le secteur public, puisqu’une grande partie d’entre eux travaille chez leur employeur d’origine. »

Cette génération a aujourd’hui entre 30 et 40 ans. L’âge auquel dans de nombreux secteurs d’activité, une classe d’âge commence à occuper les places de dirigeants. Si on ajoute les salariés issus d’autres parcours, les professionnel(le)s susceptibles de diriger ne devraient pas manquer.

Pour comprendre ou blesse le bat, il faut se souvenir de l’une des frustrations de Charlotte : apprendre à raisonner en indicateurs au détriment de l’humain. 

Elle est au cœur de la motivation d’une grande partie de cette génération et à l’origine d’un malentendu. La compétence nécessaire pour diriger une structure d’intérêt général n’est pas dans la capacité à prioriser l’humain sur l’indicateur, elle est dans la capacité à arbitrer entre les deux.

Faire des choix permanents entre sociétal et économique

Dans l’ESS comme ailleurs, loyers des bureaux, charges et salaires se paient chaque mois ou chaque trimestre. La marge brute d’exploitation n’y a pas moins d’importance qu’en entreprise. Celle-ci représente – contrairement notamment aux subventions – la seule partie de son budget qu’une structure peut dédier en toute liberté à son objet social et à l’innovation.

Profit et bonne gestion sont tout autant sinon plus importants dans l’ESS que dans l’économie classique. Le projet sociétal représente à ce titre une difficulté supplémentaire de gestion.

Cette réalité se concrétise pour les entrepreneurs sociaux par l’obligation par réalisme économique de refuser des salariés dans l’insertion, de baisser la qualité d’un accueil pour des toxicomanes ou de ne plus proposer de débouché à un partenaire africain, sud américain ou asiatique dans le commerce équitable. Ces choix sont réguliers, mensuels ou hebdomadaires. Ils sont le poste. Là où l’entreprise classique utilise souvent le quantifiable pour déshumaniser les décisions, l’ESS ne peut se permettre ce recours. La noblesse se paie par la difficulté à se détacher émotionnellement pour manager.

Cette compétence d’arbitrage est aussi indispensable que rare. Elle représente un frein pour la génération emploi jeunes dont beaucoup pensant rejoindre le camp du bien, réalisent qu’ils sont dans les rangs du compromis permanent.

Des perles rares heureuses de l’être

Au final, l’entrepreneur social intègre les compétences classiques de gestion de Business Unit, celles techniques de son secteur d’activité, la capacité à porter le projet sociétal et celle à arbitrer entre sociétal et économique. On comprendra sa rareté.

En tant que cabinet de recrutement dédié à l’intérêt général, c’est dans le secteur de l’ESS que les entretiens sont les plus longs. C’est également pour les recrutements de ce secteur devant celui – pourtant en déficit de cadres – de l’efficacité énergétique que nos clients nous demandent le plus régulièrement d’intégrer un axe de débauchage de candidat(e)s exerçant une fonction équivalente dans une structure proche.

Candidats comme recruteurs, confrontés à vos difficultés respectives à gérer ces spécificités, nous ne pouvons que vous encourager à vous rappeler ce que vous savez sans doute déjà : ces compétences sont le sel et la noblesse de ce statut.

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