Le cadre d’entreprise et l’ESS, ou l’histoire d’un malentendu
Les salariés du secteur privé lucratif ont tendance à fantasmer le travail dans l’économie sociale et solidaire (ESS). Un éclairage est donc proposé afin de démystifier la réalité.
Le cadre d’entreprise est un être humain. Par conséquent, il a vu fondre la banquise, diminuer les ressources naturelles, augmenter la pollution, disparaître les espèces. S‘il n’a pu participer pleinement aux combats pour inverser la tendance, c’est qu‘il en avait un autre à mener, moins altruiste sans doute mais non moins héroïque : construire sa carrière. Aujourd’hui, le cadre d’entreprise souhaite se concentrer sur les combats mis de côté. Il souhaite rejoindre un « métier avec du sens » et donc l’économie sociale et solidaire (ESS). Une réalité risque de poser un problème à ses futurs recruteurs : le métier de l’intérêt général qu’il a à l’esprit n’existe pas.
Vision du « cadre privé » sur l’ESS
Pour s’intégrer au monde de l’entreprise traditionnelle, le cadre a dû apprendre à raisonner en indicateurs. Il veut de la beauté et de l’humain. Il a dû parfois se forcer à croire à un projet d’entreprise; il veut aujourd’hui une vraie fierté d’appartenance. Il a dû apprendre à trouver ce juste milieu entre respect des collègues et jeux de pouvoirs internes; il veut aujourd’hui des collègues sincères et désintéressés.
Pour survivre dans un univers professionnel anxiogène, le cadre d’entreprise a dû souvent penser à lui. Il éprouve aujourd’hui le besoin d’un partage de la souffrance et est prêt à ce propos à faire des efforts salariaux conséquents. Il considère même cet effort salarial comme la première étape de son chemin vers plus de sens. Il veut du sacrifice. Il a ainsi laissé de côté une part des qualités qui ont fait de lui un bon professionnel : son pragmatisme et son efficacité.
Un décalage compréhensible
La vision fantasmée du cadre privé sur l’emploi au sein de l’ESS trouve sa source dans le traitement médiatique de l’ESS. Il existe peu d’articles sur la vision économique des dirigeants de ce secteur. Ceux sur les start-ups du développement durable ou sur les grandes organisations non gouvernementales (ONG) ont même une tendance certaine à insister sur la « formidable générosité » des fondateurs plutôt que sur la viabilité de leurs modèles.
Bien au contraire, quand la presse parle d’argent et d’ESS dans un même article, c’est généralement très mauvais signe pour l’acteur cité. Il y a quelques années, un dossier d’un magazine économique classait les pires et meilleures ONG. On trouvait comme critères de « mauvaise ONG » tout ce qui correspondrait aux critères d’une « bonne » entreprise : investissement et recherche des meilleurs cadres.
Attractivité de l’intérêt général : un faux ami du décideur RH
La motivation professionnelle de nombre de candidats à travailler dans le secteur de l’ESS relève du domaine personnel. Ils ne seront pas en capacité d’y associer des compétences précises. À l’opposé de cette vision, les métiers de cadres dirigeants de l’ESS exigent des compétences très professionnelles et très précises : trouver un juste milieu de démocratie participative, éviter la confusion de statut entre militant et salarié ; gérer la répartition réelle des pouvoirs entre salariés et administrateurs, le besoin d’échange des équipes sur le projet ou encore l’équilibre nécessaire entre objectifs sociétaux et économiques. Celui qui pense que manager dans l’ESS est plus simple que dans l’économie marchande n’y a probablement jamais travaillé.
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Auteur : Jean-Philippe TEBOUL, Directeur d’Orientation Durable.
Article paru dans JurisAssociations 555, le 15 mars 2017.
Voir l’article original ici.
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