Trois candidats, Damien Baldin, Benoit Hamon et Stéphane Junique, se présentent à la présidence d’ESS France, une fédération qui intègre les familles d’acteurs qui constituent l’ESS d’aujourd’hui. (Cet article de Care news explique de façon fort claire les enjeux et forces en présence)
De notre coté, les cinquante milles abonnés et abonnées de notre newsletter étant très représentatifs des familles en question, nous vous avons demandé de poser des questions auxquelles vous trouverez ci-dessous les réponses de chaque candidat.
Voici les réponses de Benoît Hamon :
Benoît Hamon est Directeur Général de Singa Global.
- Si on rêve un peu, à quoi ressemblera l’ESS en 2030 ?
Benoît Hamon : Dans 6 ans, nous ne serons pas parvenus à faire des modèles économiques de l’ESS, la norme de l’économie. Mais peut-être aurons nous réussi à inciter l’économie française à faire le pivot indispensable pour réussir la transition écologique et éviter le mur d’une augmentation de la température globale supérieure à 2°C.
Alors en rêvant un tout petit peu, en 2030, l’ESS aura grandi en bénéficiant de la colonne vertébrale d’une loi de programmation qui restera la boussole de son développement.
En 2030, le champs du soin et de la prise en charge des personnes vulnérables aura fait l’objet d’une protection par la loi, réservant aux acteurs publics ou privés non lucratifs des activités qui ne peuvent pas se permettre de faire dépendre la dignité des personnes de la spéculation financière et des convulsions des marchés.
En 2030, de nouveaux médias seront nés grâce à la création d’un statut de société de média non lucratif qui garantira l’indépendance des rédactions par rapport aux actionnaires et régénèrera le pluralisme de l’information.
En 2030, grâce à la création d‘une nouvelle section « économie et société » au Conseil National des Universités, la recherche économique sera déverrouillée et encouragera le développement de la diversité des modèles entrepreneuriaux.
En 2030, la France et l’Europe se seront dotées d’une véritable diplomatie de l’ESS, partageant une culture économique tournée vers la coopération et la création de liens et pas seulement de biens.
- Comment faire en sorte qu’il y ait des candidatures de femmes lors de la prochaine élection ?
L’enjeu c’est la capacité de l’ESS à ressembler en son sommet, à la diversité de genres, de cultures et de générations qui existe sur le terrain. C’est incontestablement un des domaines dans lequel l’ESS a une marge de progression significative.
Le contraste est particulièrement fort dans le champ de l’égalité et de la parité entre les femmes et les hommes.
Les femmes représentent 68% des employés de l’ESS. Mais ce nombre se rétrécit radicalement plus on progresse vers les responsabilités. Une femme a 2 fois moins de chance qu’un homme d’accéder à un poste de cadre dans l’ESS. L’état des lieux de l’égalité entre les femmes et les hommes réalisé en 2019 par l’observatoire de l’égalité Femmes-Hommes dans l’ESS et le CN-CRESS, révèle un forte polarisation de l’emploi (1 femme sur 2 travaille dans l’action sociale), un temps partiel qui pèse d’abord sur les femmes (41% de l’emploi des femmes contre 25% pour les hommes). Tous ces constats engendrent des inégalités qui se traduisent dans les salaires : 23% d’écart entre femmes et hommes tous métiers confondus dans l’ESS (contre 24% dans le reste du secteur privé).
Nous ne faisons pas mieux que l’économie conventionnelle. Cela veut dire que nos entreprises doivent engager un travail multidimensionnel qui concerne le recrutement, la formation, la suppression des freins périphériques au bon déroulement des carrières des femmes, les salaires et l’aménagement du temps de travail. Le constat de l’absence de candidate femme à la présidence n’est pas la conséquence d’un manque de talents mais de la persistance d’un système de sélection économique des « élites » qui privilégie les représentations masculines du pouvoir. J’entends rompre avec ces archaïsmes.
- Quelles sont les propositions que vous porteriez pour améliorer le financement de l’ESS ?
Le droit commun, tout le droit commun.
L’ESS ne peut plus être exclue quasi intégralement du bénéfice des programmes d’investissement de la France pour son avenir. L’impasse de France 2030 sur le potentiel de l’ESS est inacceptable. De la même manière, quand l’ADEME double son budget et le porte à plus de 4 milliards d’euros pour accélérer la transition écologique, l’ESS apparaît comme oubliée tandis que ses entreprises sont pourtant pionnières dans l’articulation de la transition écologique et de la lutte contre les inégalités sociales. Toute stratégie publique de développement économique ou de transformation écologique doit intégrer dès le départ des mesures spécifiques qui correspondent à la non lucrativité ou lucrativité limitée des structures de l’ESS.
L’État et ses deux instruments de financement de l’économie que sont la BPI ou la Banque des Territoires doivent être les gardiens des stratégies d’investissement patient. Qui d’autres qu’elles peut jouer ce rôle là, pour permettre la croissance de la part de l’ESS dans l’économie mais aussi la croissance de ses bienfaits sur la société toute entière.
L’ESS n’a pas besoin d’un petit compartiment de financement dans l’offre globale des acteurs publics qui investissent et financent le développement de l’économie française. Tous les programmes doivent intégrer la spécificité des entreprises de l’ESS parce qu’elles créent de l’activité dans tous les secteurs de l’économie française.
- Quelle(s) loi(s) seraient utiles au développement du secteur ?
La question fait consensus parmi les acteurs de l’ESS. Il faut une loi de programmation pour l’ESS. Pourquoi? Parce que nous avons besoin de constance dans l’engagement des pouvoirs publics. Développer l’ESS, suppose d’aligner les planètes : les entreprises de l’ESS, les associations, l’Etat, les collectivités territoriales, le parlement et les citoyens. L’engagement en pointillé de l’Etat ces dix dernières années et l’implication contrastée des régions expliquent, pour partie, l’échec d’un changement d’échelle de l’ESS. Outre un cap, la loi de programmation proposerait une chronologie dans le développement national et territorial de l’ESS dont nous avons besoin pour inscrire le développement de l’ESS dans la durée. Cette loi est cruciale aussi pour les CRESS dont le financement doit être sécurisé par dotation budgétaire ou bien par affectation d’une partie des taxes parafiscales payées par les entreprises pour financer les chambres consulaires.
- Est ce qu’il y a une ESS de droite et une ESS de gauche ?
Il existe un compagnonnage historique de l’économie sociale avec les courants républicains, socialistes, anarchistes aussi à travers l’associationnisme, le coopérativisme et le mutualisme.
Mais parlons de l’ESS aujourd’hui. Qui serait la droite de l’ESS : les entrepreneurs sociaux? Quand le flanc gauche de l’ESS serait occupé par les associations? Ce clivage n’est pas pertinent. Car ce serait caricaturer la gauche que de lui prêter de ne pas s’intéresser à l’entreprise et caricaturer la droite que de prétendre qu’elle se désintéresse de l’intérêt général.
L’ESS est l’économie hospitalière à la démocratie. Et la démocratie, c’est le pluralisme des opinions. L’ESS se tourne vers les citoyens et elle propose une économie qui encadre l’intérêt général dans les décisions stratégiques des entreprises. La transition écologique concerne chaque citoyen quel que soit le bulletin qu’il met dans l’urne. En recherchant l’intérêt général, l’ESS est une économie politique sans être partisane.
Et le dernier appel de Claude Alphandery à mobiliser nos forces contre le retour de la barbarie sonnait comme un appel brûlant à partager avec nos concitoyens l’essentiel : l’économie sociale et solidaire est l’économie qui crée des liens, l’économie qui place au cœur de sa promesse, les personnes et leur émancipation. Connaissez vous un programme politique plus fédérateur et rassembleur?
- Donnez-moi une bonne raison de croire que l’ESS va vraiment transformer l’économie classique !
L’ESS doit devenir un aimant pour toute l’économie. Elle en a le potentiel.
L’ESS, sous réserve qu’elle se livre elle-même à une évaluation de ses bonnes pratiques, est l’économie capable de produire les indicateurs et le référentiel utilisés par toutes les entreprises conventionnelles pour changer et améliorer leurs impacts sociaux et écologiques. L’ESS doit se vivre comme un modèle et pas comme le parent pauvre de l‘économie. Je crois que notre rôle n’est pas de pleurnicher ou nous plaindre seulement pour augmenter les budgets faméliques que l’Etat consacre au financement de l’ESS mais – je l’ai dit plus haut – d’exiger que les entreprises de l’ESS bénéficient des politiques de droit commun, en matière de structuration des filières industrielles, de transition écologique ou de politiques de l’emploi.
Depuis la loi de 2014, des passerelles existent entre l’économie conventionnelle et l’économie sociale et solidaire. Celles-ci sont encore trop peu empruntées. Pour transformer ces routes de campagnes en larges artères vers l’ESS, il faut améliorer l’écosystème de financement de l’ESS, transformer la culture économique et entrepreneuriale en France par l’éducation, la recherche et les médias, changer les indicateurs de richesse, simplifier les modalités de transformation des entreprises vers les modèles ESS, améliorer la redevabilité de l’ESS sur sa promesse sociale et solidaire pour nous rendre plus attractifs, obliger les pouvoirs publics à nous considérer au rang qui est celui de notre contribution réelle à la création de valeur, à la cohésion sociale et à la démocratie.
Voilà une formidable feuille de route au service d’une utopie réaliste : le changement d’échelle de l’ESS.
- L’ESS est-elle l’économie des gentils ?
Gentil n’est pas un mot infamant. Mieux vaut être l’économie des gentils que celle des méchants. Néanmoins, derrière cette formule on pourrait comprendre que l’ESS est l’économie de ceux qui ne sont pas performants, ne réalisent pas de bénéfices et vivent sous perfusion des aides publiques tandis que l’économie conventionnelle serait l’économie des résultats et de l’emploi. Rien n’est moins vrai que cela. Prenons un exemple concret : si demain je crée une solution technologique qui permettra de traquer les paramètres personnels d’une personne qui souffre d’obésité et lui proposera des solutions individualisées pour perdre du poids, je serai éligible au crédit d’innovation PME et serait entouré d’une multitudes d’investisseurs gourmands à l’idée de réaliser une jolie opération bénéficiaire quand cette application rencontrera son public.
Si mon entreprise non lucrative, développe des programmes de prévention de l’obésité dans les quartiers difficiles auprès de familles pauvres et vulnérables très exposées au risque de d’obésité en raison de la sédentarité et d’une alimentation équilibrée, aucun crédit d’innovation sociale ne viendra soutenir mon développement et les investisseurs patients seront incomparablement moins nombreux à supporter une activité qui sert pourtant l’intérêt général.
La 1ère activité, lucrative, ne s’attaque pas aux causes de l’obésité mais seulement à proposer une solution individuelle à un mal collectif contemporain. Celle-ci sera largement soutenue par les pouvoirs publics.
La seconde activité, non lucrative, s’attaque aux causes de l’obésité et concentre son action sur les populations les plus exposées à ce risque. Celle-ci sera peu ou pas aidée par les pouvoirs publics.
Les modèles entrepreneuriaux les plus « assistés » ne sont pas ceux que l’on croit. Il faut changer cela et garantir l’accès des entreprises de l’ESS aux dispositifs de soutien au développement économique de droit commun.
- Est-ce que l’ESS d’autres pays où continents doit nous inspirer ?
Evidemment. Sur tous les continents, l’économie sociale et solidaire « se nourrit, selon l’économiste Robert Boyer, des limites tant des mécanismes marchands, incapables d’assurer la paix sociale, que des interventions d’un Etat central désarçonné par l’inadéquation et l’inefficacité de ses procédures face aux problèmes émergents qui risquent de saper sa légitimité ». L’économie du « buen vivir » en Amérique latine, les expériences coopératives africaines, anglo-saxonnes, l’approche sud-coréenne de l’économie sociale, les nombreux modèles européens offrent une correspondance internationale aux formes variées d’économie sociale et solidaire que nous rencontrons en France.
Néanmoins, il manquait une définition juridique commune à laquelle le législateur français s’était attelé dans la loi de 2014. L’OIT a rompu cet isolement de la France en adoptant une définition universelle de l’ESS en 2022: « L’économie sociale et solidaire comprend les entreprises, les organisations et les autres entités qui mènent des activités économiques, sociales ou environnementales servant un intérêt collectif et/ou l’intérêt général, et qui reposent sur les principes de coopération volontaire et d’entraide, de gouvernance démocratique et/ou participative, d’autonomie et d’indépendance, ainsi que sur la primauté de l’humain et de la finalité sociale sur le capital en ce qui concerne la répartition et l’utilisation des excédents et/ou des bénéfices, ainsi que des actifs … L’économie sociale et solidaire inclut, selon les circonstances nationales, les coopératives, les associations, les mutuelles, les fondations, les entreprises sociales, les groupes d’entraide et les autres entités fonctionnant selon ses valeurs et principes. » La force de cette résolution est de permettre la multiplication en cascade des lois et règlements qui favoriseront le développement de l’ESS.
L’Union européenne n’est pas en reste qui reconnaît désormais l’économie sociale comme un des 14 écosystèmes industriels européens. Elle s’est dotée d’un plan d’action et a adopté une directive utile sur les associations transfrontalières. Les choses bougent à l’international et la France peut retrouver dans ce domaine, une influence et un soft power qu’elle a pour partie perdu dans le champ de la diplomatie politique et économique conventionnelle.
- Qu’est ce qui différencie vraiment votre candidature des deux autres ?
Ce n’est pas une course de petits chevaux et pas davantage une élection primaire. Mais c’est un exercice démocratique nouveau pour ESS France. Choisir un nouveau président parmi plusieurs candidats suppose une certaine maturité de l’organisation, une capacité à faire vivre des nuances et à départager des caractères différents. Cela suppose aussi que les candidats acceptent les règles du jeu d’un exercice qui peut parfois encourager à caricaturer les différences. Globalement je considère cet exercice maîtrisé.
Il n’est pas simple de faire travailler les familles de l’ESS, les CRESS et tous les acteurs transversaux de l’ESS ensemble. Néanmoins, une volonté commune a émergé des trois dernières années. Cette capacité à produire autre chose qu’un plus petit dénominateur commun stérilisant, mais à rechercher un compromis dynamique, me rappelle la construction de la loi de 2014 qui a supposé d’innombrables consultations, négociations et arbitrages au bénéfice de l’intérêt général. J’entends conserver ce surplomb à l’égard des familles de l’ESS qui favorisera la recherche de solutions qui mettent en mouvement l’ESS plutôt que de choisir le confort de l’inertie.
La seconde particularité de ma candidature est d’être directeur général de SINGA, organisation produit d’un double écosystème. Celui tout d’abord des associations et entreprises sociales qui génèrent une innovation sociale permanente mais ne se reconnaissent pas spontanément comme appartenant à l’ESS. Arrimer ces nouvelles cellules riches en oxygène et en innovations à notre grande famille sera essentiel pour notre légitimité future. Singa appartient aussi aux mondes des acteurs dédiés à l’inclusion. Placer la question de l’inclusion des nouveaux arrivants et plus généralement de tous les publics éloignés de l’emploi par la persistance d’inégalités ou de discriminations sera aussi un symbole fort.
Pour consulter l’interview de Damien Baldin, c’est par ici
Pour consulter l’interview de Stéphane Junique, c’est par ici
Crédit photo : Hugues-Marie Duclos
Un commentaire sur “Interview Benoit Hamon”
L’un des problème à résoudre est celui de la finance! Un Etat ne peut agir que s’il dispose d’un budget (soit pour agir directement via ses équipes de fonctionnaire, soit pour agir indirectement via la délégation de compétence qu’il octroie à des acteurs externes). Ce budget il va le chercher à travers les impôts est les taxes qu’il peut prélever sur l’ensemble de l’activité des opérateurs économique du pays (citoyens actif payant des cotisations, des impôts et des taxes additionnelles aux achats – entreprise payant des cotisations, des impôts et des taxes additionnelles aux achats). Or l’ESS est (en rapport à son activité) peu contributrice (je n’ai pas écrit non contributrice) aux moyens d’action financier de l’Etat. Comment donc « imposer » parce que je ne pense pas que cela se fasse par simple négociation, la participation (et donc la surparticipation) du secteur privé au financement de l’Etat pour donner les moyens qu’il convient à l’ESS?