Roi de France de profession, Saint Louis avait une habitude amusante. Chaque matin au saut du lit, il se rendait sous un vieux chêne. La cour s’installait autour de lui attendant le rituel quotidien. Et pour une fois les courtisans étaient plutôt ravis de ne pas être rois.

Car à cet instant, Saint Louis prenait un long fouet pour s’affliger une série de coups. Assez violents, si l’on en croit les témoignages ; et ce pendant une bonne vingtaine de minutes.

Saint Louis expliquait volontiers la raison de ce rituel : il se fouettait en solidarité avec les misères de son peuple.

Huit cent ans ont passé. L’étude des conditions sociales et économiques par des centaines de médiévistes nous permet aujourd’hui d’affirmer sans l’ombre d’un doute le fait suivant : ça lui faisait une belle jambe, au peuple.

Une torture civilisée

Aujourd’hui nous sommes plus civilisés heureusement. Aujourd’hui nous avons remplacé le fouet….

«Tu devrais avoir honte de ne pas finir ton assiette. Qu’est ce qu’il en penserait de ton attitude, le petit Africain qui aimerait tant avoir à manger ?»

 …

Et si on lui donnait la parole justement à ce petit enfant d’Afrique. C’est la moindre des choses : voilà des années qu’il sert d’argument pédagogique à des générations de parents et de professeurs.

 Que répondrait t-il logiquement l’enfant africain ?

 Pensez-vous sincèrement qu’il dirait :

« Oui, vraiment, ça me fait de la peine. Je crois pouvoir affirmer que c’est actuellement – si on laisse de coté cette petite sensation de faim persistante – la première de mes préoccupations ».

 Ou plutôt :

« Sincèrement ? Je m’en moque ! Je crois même pouvoir affirmer que – vous excuserez l’écart de langage mais je crois que seul celui-ci est susceptible de révéler le fond de ma pensée – je m’en contrefous.

Cette indifférence concerne non seulement la discipline scolaire française mais aussi la façon dont les Français vivent ma propre souffrance.

Je vous prie de bien comprendre les raisons de cette indifférence, j’ai actuellement d’autres sujets de préoccupation.

Seules m’intéressent, que j’en sois informé ou non, les actions susceptibles d’influencer ma situation aussi directes qu’un parrainage ou aussi indirecte qu’une pétition pour l’annulation de la dette de pays pauvres.

Bien à vous ».

Être utile est un besoin vital

Qu’on le veuille ou non, l’altruisme fait partie de nos besoins vitaux.

Nous sommes tous conscients du monde qui nous entoure. Et au-delà de cette évidence, nous sommes tous conscients que six milliards de personnes le composent. Nous sommes informés de la situation de certaines de ces personnes. Nous savons leurs souffrances.

Ces souffrances sont économiques.

Ces souffrances sont corporelles.

Ces souffrances sont morales : une personne dont la principale préoccupation dans la journée est de trouver à manger pour le soir, une personne qui sait que ses revenus ne lui permettront pas d’offrir l’école et donc une autre vie à ses enfants… Cette personne vit dans une frustration et une douleur morale permanente.

Et ces souffrances… font souffrir chacun d’entre nous. Ou plus exactement : ces souffrances et la conscience au fond de nous de pouvoir les éliminer.

C’est l’information dont nous disposons aujourd’hui qui fait que, pour nombre de ces souffrances, nous savons cette possibilité. Possibilité que nous avons réelle mais possibilité très floue (il est d’un complexe, ce monde, avec ses institutions dans tous les sens).

Des faux remèdes

Alors, on multiplie les faux remèdes.

Inventer des obstacles au changement est celui des faux remèdes qui recueille le plus grand succès : «De toute façon… les gouvernements des pays pauvres sont corrompus». Dans la vraie vie, le dernier rapport de l’ONG Transparency International publié le 9 décembre 2005, classe la France dans le groupe des pays dont la vie politique est corrompue de 51 à 70%, en compagnie de la Russie, de la Turquie, de l’Equateur ou de l’Indonésie… loin « devant » nombre de pays africains.

On se dit qu’on n’a « pas les moyens ». Oubliant le décalage entre besoins d’ici et de là-bas. Dans la vraie vie, nous avons développé notre niveau de vie à un niveau inimaginable il y a quelques dizaines d’années. Ce qui était luxe est devenu besoin. Nous sommes au niveau du Monde incommensurablement riches.

On se dit qu’on a déjà tellement donné. Dans la vraie vie, les dépenses de solidarité internationale des Français sont inférieures à celles de sparadrap et de coton-tiges.

Faire quelque chose

On se dit qu’on doit faire «quelque chose». Un quelque chose qui rime avec «n’importe quoi». On oublie le pragmatisme qu’on emploie dans sa vie de tous les jours.

Ou bien… on sort le fouet.

La bonne vieille méthode dite de la « flagellation sous le chêne comme réaction à la misère du monde» n’a pas été brevetée par Saint-Louis. Et elle fait des émules mille ans plus tard.

Le châtiment corporel est devenu heureusement verbal mais plus tortueux. On n’ose pas se plaindre de «ses petits malheurs », parce ce qu’on ne saurait plaindre de déconvenues familiales ou amoureuses quand…«on pense à ce petit enfant d’Afrique qui, lui, souffre vraiment» (le veinard ?).

Écouter son égoïsme

Il n’y a qu’une façon d’être un peu moins égoïste que les autres : c’est d’avouer son égoïsme (Jules Renard – Journal – 1891) 

Pour choisir votre engagement, vous devez donc non seulement écouter vos motivations altruistes (ce que vous avez envie de changer dans le monde pour le bien de vos «prochains») mais également vos motivations égoïstes :

Quelles responsabilités désirez vous avoir ? Avez-vous besoin de voir rapidement le résultat de votre engagement ou êtes-vous prêt à attendre ? Souhaitez vous participer à une ONG prestigieuse qui vous amènera plus aisément le respect de vos proches ou ce statut a-t-il peu d’importance à vos yeux ? Pour le bénévolat, quelles activités vous plaisent indépendamment de leur utilité ? Pour les achats, parmi par exemple les circuits de tourisme équitable existants, lesquels correspondent à vos goûts en matière d’envie de découverte mais aussi de confort ?…

Se poser ces questions est indispensable. Y répondre avant de choisir votre action augmentera votre efficacité car ne l’oubliez pas… Un super-héros… ça sait aussi se faire plaisir.

Personne ne nous a demandé de souffrir de la misère des autres. Et surtout : notre souffrance ne change rien à leur situation.

Des efforts sont parfois nécessaires pour aider l’autre mais le sacrifice n’est pas en soi une action de solidarité.

Pour le plaisir

Si la première de vos motivations pour travailler dans l’intérêt général est une profonde culpabilité, rendez-vous service : abstenez-vous! Vous n’êtes pas responsable des malheurs de ce Monde. Vous n’y êtes pour rien : personne ne vous a demandé votre avis ni pour les malades n’ayant pas accès aux traitements, ni pour la pollution des usines.

Admettons à la rigueur que vous soyez responsable de certaines d’entres elles. La pollution de certaines usines par exemple est nécessaire à la production de certains de vos achats. Mais dans ce cas, c’est…. à l’insu de votre plein gré. L’information sur le lien entre vos achats et certaines situations est récente et encore complexe aujourd’hui.

En bref, regardez le monde comme une situation de départ, celle du choix de la mission qui va vous permettre de l’améliorer.

Et après, engagez-vous… pour le plaisir.

Pour Orientation Durable

Jean-Philippe Teboul avec Guillemette Soucachet

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