Benoît Hamon

Benoit Hamon, ministre délégué à l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) de mai 2012 à avril 2014, à l’initiative de la loi sur l’ESS du 31 juillet 2014.

Tribune réalisée pour Orientation durable, en collaboration avec Nohmana Khalid.

« Les modèles économiques de l’ESS sont les plus adaptés
aux enjeux écologiques et sociaux présents et futurs »

« La victoire ne va pas à celui qui part le premier, mais à celui qui conclut ». Cet adage du sophrologue Alfonso Caycedo suscite cette réflexion : si l’entrée de l’humanité dans l’anthropocène coïncide avec la course effrénée du capitalisme, peut-être revient-il aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) de clore ce cycle ? Et de proposer un modèle économique plus sobre avec des nouvelles représentations de la richesse, de la propriété, de la réussite et de la prospérité ?

Les crises du système capitaliste se succèdent à un rythme et à une intensité effrénés. A chacune de ces convulsions systémiques, les entreprises de l’ESS font preuve d’une résistance étonnante et d’une utilité sociale incomparable. Quelles leçons durables doivent retenir les citoyens d’abord, l’Etat et les entreprises ensuite, de la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 au sujet de l’économie sociale et solidaire ?

Les victoires de l’ESS

Jusqu’ici, les acteurs de l’ESS aspiraient à un traitement équitable de leurs modèles avec ceux des entrepreneurs classiques. Objectifs : jouir d’une reconnaissance institutionnelle, d’un accès aux financements et d’un environnement légal et réglementaire n’entravant pas le développement du secteur de l’ESS.

Des progrès ont été faits. L’économie sociale et solidaire est d’avantage « reconnue » mais aussi intégrée à la plupart des stratégies territoriales de développement économique. Elle s’est aussi faite une petite place dans l’enseignement supérieur et les programmes scolaires d’économie au lycée.

L’ESS, une voie encore minoritaire

Néanmoins, l’économie sociale et solidaire demeure une voie « originale », minoritaire et hétérodoxe. Elle n’a toujours pas changé d’échelle. Le nombre d’emplois générés et sa contribution au PIB stagnent. Pourtant la donne a changé.

Le réchauffement climatique et l’intense polarisation des richesses exigent une bifurcation radicale de notre modèle de développement. Et, les entreprises de l’ESS ont a priori – par leur nature – un rôle central à jouer. Les exigences actuelles appellent, en effet, les entreprises à soustraire, leur quotidien comme leurs impacts écologiques et sociaux, à la tyrannie du court terme.

Court terme versus long terme

La loi PACTE (1) de mai 2019 invite les entreprises volontaires à se mettre au diapason des défis colossaux de la transition écologique. Elle leur permet d’indiquer dans les statuts une «  raison d’être » (2), à savoir un projet d’intérêt collectif de long terme dans lequel s’inscrirait leur objet social. Et c’est bien d’une vision à long terme dont elles ont besoin pour cibler la neutralité carbone, améliorer leur efficacité énergétique et diminuer leurs externalités négatives en matière de déchets ou de pollutions.

Hélas, aussi inspirante que soit la faculté de se doter d’une « raison d’être », les entreprises conventionnelles continuent de privilégier des actions rentables à court terme dans l’intérêt de leurs actionnaires – au détriment d’investissements de long terme dans la transition écologique et sociale.

A titre d’illustration, plus de 67 % de la rémunération variable des dirigeants du CAC 40 était basée en 2019 sur la réalisation d’objectifs financiers à court terme (par exemple de marge opérationnelle, de trésorerie ou encore de satisfaction des actionnaires, favorisant le versement de dividendes), selon une note d’Oxfam France parue en avril 2021. En revanche, seulement 9 % de cette rémunération était lié à un critère non financier de long terme (par exemple climatique comme la réduction des émissions de CO2), déplore l’ONG. Tant que cet anachronisme durera, l’activité économique continuera d’infliger des blessures profondes et irréversibles aux grands équilibres écologiques et sociaux. Par ailleurs, comment adopter une stratégie vertueuse en matière de biodiversité ou de lutte contre le réchauffement climatique sans que cela ne coûte un euro à l’actionnaire ?

Les structures de l’ESS, des bulles de respiration

Le contexte écologique et social actuel apporte un éclairage sur la bataille culturelle opposant d’une part, les entreprises conçues exclusivement comme des centres de profits, et d’autre part, celles de l’ESS construites comme des lieux d’épanouissement et de citoyenneté. L’Histoire et désormais la Science donnent raison aux entreprises de l’ESS. Il appartient à ses représentants de marteler ce message au monde.

Parce qu’elles ont une lucrativité limitée, les entreprises de l’ESS inscrites dans le long terme et donc plus à même d’assurer la transition écologique. Le quotidien de leurs dirigeants et de leurs salariés n’est pas placé sous le joug des indicateurs de rentabilité à court terme. L’objectif de la structure ne s’oppose pas à l’intérêt général. Mieux, il y concourt.

Parce qu’elles sont démocratiques, les entreprises de l’ESS sont citoyennes et ne vivent pas sous le règne d’une seule partie prenante, les actionnaires. Au contraire, elles encouragent une délibération collective particulièrement adaptée aux enjeux d’une gouvernance alliant performance et intérêt général. Dans une société dont les principes démocratiques chancellent et où la polémique prend le pas sur la discussion politique, elles sont autant de bulles où les travailleurs, les dirigeants, les associés et les usagers dialoguent, coopèrent, se respectent et élaborent des solutions et des compromis en commun. Les bénéfices de l’ESS pour la cité ne se mesurent pas seulement en termes d’impacts sociaux et écologiques positifs mais aussi démocratiques.

Une fois ce diagnostic posé, reste désormais à convaincre les acteurs et les représentants de l’ESS que l’heure est venue de renverser la perspective et d’abandonner cette culture minoritaire. Il est l’heure de modifier la hiérarchie de valeurs reléguant l’ESS aux marges de la « vraie économie ». Il est temps d’investir les tribunes et de saisir les micros. Et d’affirmer haut et fort : «  Les modèles démocratiques et non lucratifs de l’ESS sont les plus adaptés aux enjeux écologiques et sociaux présents et futurs. »

Benoit Hamon

(1) PACTE pour Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.

(2) La loi PACTE a modifié l’article 1835 du Code civil pour consacrer la notion de « raison d’être » dans les statuts d’entreprises. Objectif : inciter celles-ci à être plus orientées vers le long terme.

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